Repue de corps peinturlurés s’agitant sur des scies musicales accrocheuses certes, mais trop empreintes de sonorités eighties pour être honnêtes, la branche Dead Rooster-Canal Historique a décidé de ne pas célébrer les petits jeunes braillards, ou les midinettes proprettes à voix de velours, mais plutôt de se pencher sur les vieux, les poilus, les célèbres et les oubliés, les on-sait-pas-ce-qu’ils-sont-devenus-mais-on-s’en-fout, les ils-sont-complètement-décédés-et-c’est-navrant. Ce top se veut cependant fédérateur, et n’est donc pas uniquement destiné aux vieux cons blasés après tant d’années à se démolir les ruches à base de rock dans toutes ses déclinaisons, ou aux jeunes cons en passe de devenir de vieux bougres aigris. Espérons que chacun y trouve son compte ! Avant de commencer, notons que ce top 2008 est basé essentiellement sur la mauvaise foi et l’arbitraire, dans la mesure où, notamment, la plupart des disques présents ici ne sont pas sortis en 2008. La raison de leur présence est plutôt due au fait qu’ils ne sont parvenus aux oreilles du musicophile revivaliste qu’au cours de cette fameuse année 2008…

Néanmoins, comme par essence, un top se doit de classifier les choses, nous diviserons ici les choix en 3 parties : le rock garage, la musique “calme” (entre pop et folk dirons-nous) et, puisque nous ne sommes tout de même pas totalement hermétiques aux groupes plus actuels, une sélection des quelques rares qui nous aurons émoustillés cette année avec leurs nouvelles livraisons.

1. Le rock garage

Penchons-nous donc sur un genre revenu au goût du jour, principalement grâce à l’appui à peine visible d’un mensuel dédié au Rock, et un peu (une page…) au Folk. Avant la naissance des parents de ceux qui représentent “la scène rock parisienne”, de nombreux ancêtres s’essayaient donc à la guitare électrifiée, accompagnée le plus souvent d’une basse omniprésente, d’une batterie assourdissante, voire d’un orgue virevoltant. Bref, le rock garage. Le genre qui préfigurait pléthore d’autres genres à venir (du hard au punk, en passant par le prog). Mais chez les groupes de l’époque, point de rythmique pachydermique, pas plus que de nappes de claviers surnuméraires. Non ! En ce temps-là, tout était à l’économie, et fait dans l’urgence. Et donc, les 3 groupes qui auront retenu l’attention cette année sont The Shadows of Knight, The Remains et We the People. N’ayant ni l’envie, ni l’espace de faire la biographie de ces groupes (allmusic fait ça très bien…), intéressons-nous plutôt à leurs traces discographiques laissées à la postérité. Et tout d’abord : The Shadows of Knight, ou comment faire pour métamorphoser le pillage de tombes en œuvre personnelle. En effet, à première ouïe, on pourrait être rebuté par la 5032ème version de Hey Joe ou par la 127ème version de Gloria (il faudra d’ailleurs attendre la 128ème pour qu’un faux sosie moustachu de Jane Birkin en fasse un succès sur son cultissime Horses). Cependant, ces gens parviennent à ne pas rester dans le pur exercice de style ! On sent en effet une réelle implication dans ces covers, le solo sur Hey Joe est relativement oufesque, le Gloria sauvage à l’extrême ! Et que dire de la demie douzaine de reprises de titres de Willie Dixon qui émaillent leurs deux premiers albums (Gloria et Back Door Men), si ce n’est qu’elle donne indéniablement l’envie de se pencher sur la carrière du bluesman. Et lorsque les Ombres du Chevalier ne pillent pas leurs glorieux ancêtres (et/ou contemporains), c’est pour nous pondre des titres gigantesques (l’incroyable Gospel Zone, ou la supplique d’un mâle qui veut que sa compagne l’aime du matin au soir, de l’été jusqu’à l’hiver, dans la cour comme dans la cuisine).

The Remains ensuite, avec la réédition de leur album éponyme. Beaucoup moins “garage”, beaucoup plus pop. Mais tout de même, pendant un titre comme Don’t Look Back, comment ne pas avoir envie de chevaucher une grosse cylindrée, les cheveux au vent, un après-midi de juillet, sur la route de Nashville (ou au pire, de se trémousser comme un forcené sur le dancefloor de n’importe quel bar rock). Idem pour Say You’re Sorry ou encore All Good Things (ça devait remuer du popotin en 1966 !). Et puis, il y a les chansons des rockers au grand coeur : Ain’t That Her ou Baby I Believe In You. Dans toutes ces chansons en tout cas, c’est de la guitare tranchante à qui mieux mieux ou de l’orgue placé comme on l’aime (c’est-à-dire présent et non pas omniprésent !). Alors certes, parfois, on se dit qu’on écoute des Rolling Stones de seconde zone, mais bon, des copistes des Stones, cela ne vaut-il pas mieux que n’importe quel suiveur new wave actuel ? (c’était le passage vieux con de l’article…)

Pour clore ce volet du top, We The People, groupe totalement inconnu mais totalement génial ! On ne saura que trop recommander le double album Mirror of Our Mind, paru en 1998, et qui donne un aperçu quasi intégral des talents de ce groupe. Capable du parfait hymne garage Drivin’ Me Out of My Mind, tout en batterie galopante, en éructements et en guitare incisive, d’un titre psyché parfait My Brother The Man avec son orgue au poil et ses bruits plein de reverb, ce groupe peut aussi explorer des territoires sonores insoupçonnés : There’s Gonna Be A Storm ou Ain’t Gonna Find Nobody et leurs cuivres semblant venir de la Nouvelle Orléans. Peu importe le genre abordé, tout ou presque ici frôle la perfection ! J’incite toute personne sensée qui n’a pas envie de tout démolir chez elle à l’écoute de Double Trouble ou de I Wanna Do It à m’écrire. De même, celui qui ne se marre pas aux premières secondes de He Doesn’t Go About It Right ou qui ne pleure pas sur St John’s shop peut lever fièrement le bras et dire : “Moi m’sieur ! Moi !”. Non, défitivement, c’est impossible ! Quant au riff de Too much noise, a-t-on fait un jour plus efficace que ce “pada pada BAM, pada pada BOM” ? (et je n’évoque même pas le refrain qui aurait dû être l’hymne officiel de toute baston entre loulous à bananes qui se respectent !)

2. La musique calme

Ayant sué sang et eau sur la piste de danse, il est désormais temps de rentrer chez soi et d’écouter de la musique plus calme. Je ne m’appesantirai pas sur Dennis Wilson et son Pacific Ocean Blue, puisqu’il a déjà fait l’objet d’un post ici ! N’en disons pas trop non plus sur Neil Young et son Sugar Moutain, live de 1968, puisqu’on espère en reparler plus longuement pour la sortie du premier volume des Neil Young Archives, sortie qui se veut imminente (après une bonne dizaine d’années de tergiversations administratives et techniques). Soumettons seulement l’avis que, comme la plupart des disques du loner sortie ces 5 dernières années, cette galette est de très grande facture, et permet de découvrir les prémices de la longue carrière du Canadien. Intéressons-nous plutôt à 2 autres artistes qui ont fait l’objet de rééditions récentes. Tout d’abord, Lee Hazlewood, ou la plus belle moustache de la musique américaine, est mort en 2007. Du coup, Rhino a eu la bonne idée de rééditer ses albums parus sur Reprise en un seul coffret, “Strung Out on Something New en 2008. Tout n’est certes pas du niveau de l’autre indispensable coffret …MGM recordings, mais quand même, il y a ici quelques très bons moments (Sally Was a Good Old Girl, Rainbow Woman, Houston, qui n’a rien à voir avec le morceau de Johnny Cash…). On découvre en plus, à la fin du second disque, que Lee avait un talent de producteur non négligeable : on en était déjà conscient lorsqu’il s’agissait de faire chanter Nancy, la fille de Frank, on le retrouve ici dans cette même posture de défricheur de jeunes talents, avec par exemple, les obscurs mais attachants Wildcats, de même que les tout aussi obscurs mais plus trippants Whisk kids. Bref, un coffret indispensable pour tout aspirant moustachu !

Autre mort qui a refait surface en 2008, Nick Drake, dont la musique n’a jamais été aussi présente (dans les pubs, dans des films, dans des séries) qu’au cours des 5 dernières années. En un sens, c’est quand même une très bonne chose. On ne pouvait imaginer qu’une oeuvre d’une telle beauté reste à jamais totalement ignorée, quand des héritiers revendiqués (Elliott Smith à tout hasard) acquiert une relative reconnaissance publique. Et donc, en 2007 est sorti Fruit Tree, un coffret rassemblant l’intégralité (ou presque) des enregistrements de sieur Drake. Hormis le “connu” Five Leaves Left, nous avons donc ici droit aux albums Pink Moon et Bryter Layter. Et, si le premier n’étonne personne, puisque dans la même lignée que le Five Leaves Left suscité, Bryter Layter est beaucoup plus surprenant, dans ce sens où la musique est plus enjouée et plus orchestrée (ici, moults cuivres quand là bas, ce n’était que guitare rachitique et cordes glaciales). Il faut un certain temps pour admettre que Nick Drake n’était pas uniquement un génie de la ballade mortifère, mais pouvait très bien enfiler le costume de dandy sur le retour (car il faut tout de même être conscient qu’on reste très loin de la gaudriole !). Ainsi Hazey Jane II ou At The Chime of A City Clock prouvent qu’un écrin foisonnant d’instruments pouvait aussi convenir au fil de voix fluet de M. Drake.

3. La musique de 2008

Pour finir, et pour satisfaire un peu tout le monde, signalons les coups de cœur de cette année 2008, en matière de jeunes qui ont du talent. Tout d’abord, la paire Last Shadow Puppets/Rascals. Relativement indissociables dans la mesure où Miles Kane fait partie des deux entités, mais aussi parce que ces deux groupes ont un talent certain pour faire des chansons classieuses sur un rythme martial (The Age of The Understatement pour les uns, Fear Invected Into A Perfect Stranger et sa dernière minute dantesque pour les autres), même si les premiers font dans la pop symphonique, pas si éloignée parfois de ce que faisait le brave Lee-la-moustache sus-cité, alors que les seconds font dans quelque chose de beaucoup plus agressif. Ensuite, The Notwist, déjà évoqués dans ses lignes, qui n’ont certes pas sorti un album aussi transcendant que le fut Neon Golden en son temps, mais qui se sont fendus d’un single excellentissime (Boneless, la chanson la plus entêtante de ces 5 dernières années) et d’un spectacle beau à pleurer à la dernière Route du Rock (voir également le post consacré ici). Et comment conclure ce classement sans évoquer le retour en force d’Oasis, groupe qui a assez de talent pour faire tout le temps la même chose, mais différemment. Dig Out Your Soul est ainsi hautement recommandable puisque, même si aucune chanson n’imprègne irrémédiablement le cerveau de l’auditeur, chaque écoute est plus qu’agréable et loin d’être si monotone que le laissent entendre les détracteurs du groupe, pour qui les frères Gallagher ne sont que des Beatles des temps modernes (OK pour I’m Outta Time, mais pour Ain’t Got Nothin ou Falling Down je vois pas).

Ainsi se termine ce top, totalement bancal, totalement incomplet (quid de la réédition du Live in Santa Monica de David Bowie ? Quid de Jay Reatard, Islands ou des Magnetic Fields ?). En tout cas, vivement 2009, et un fossé toujours plus grand entre des vieux encore plus vieux et des jeunes encore plus jeunes !

Quelques liens utiles :

Lire le Top 2008, canal non-historique.