Que peut-on encore attendre des Pays-Bas ? Y a-t-il encore quelque chose à sauver au pays de la tulipe qui fait rire ? Quand la plupart des stéréotypes qui circulent de par le monde font état, au mieux, d’un peuple qui mange du gouda en sabot de bois, et au pire, d’un grand blond qui mange du gouda en scandant qu’il irait bien refaire un tour du côté de chez Swan, l’imagerie actuelle est peu flatteuse pour qui se contente des poncifs modernes.

Tout semble d’ailleurs jouer en défaveur du peuple batave. Nous ne reviendrons pas ici sur les faits et méfaits des Oranjes, qui depuis Johan Cruyff et Marco Van Basten, peinent à nous offrir des modèles footballistiques au delà de tout soupçon1. Évoquons plutôt le versant musical de l’affaire. Cependant, pour ne pas retomber dans les travers de la caricature à l’extrême (parfaitement mise en musique par notre Richard Gotainer national pour le film Rendez-vous au tas de sable, avec le titre Gouda Toumba), il semble préférable de remonter dans le temps de quelques décennies, à l’époque charnière des 60s finissants et des 70s débutants.

En ce temps fleurissaient les talents hollandais bien plus que les tulipes à l’ombre des moulins à vent. Que ce soit dans le style pop bubblegum pour Shocking Blue (dont le multi-repris Venus fait vendre sans doute plus de rasoirs pour femmes que ne le pourrait n’importe quel titre de Demis Roussos) ou dans la catégorie garage rock, la liste de talents méconnus s’allonge plus que de raison. Pour preuve, les créateurs des compilations Pebbles ont jugé bon de réserver pas moins de 3 volumes aux groupes venus de l’autre pays du fromage. Parmi ces groupes, les plus “connus” restent Q65 et The Outsiders. C’est précisément de ces derniers dont nous allons parler. Et plus particulièrement, de leur chef-d’œuvre CQ.

Tout d’abord, ne pas se fier à la pochette de cet album qui pourrait sans doute participer au concours de la jaquette la plus moche du monde de la musique d’hier et d’aujourd’hui (même si la palme reviendrait à n’en pas douter à Live it up de Crosby, Stills & Nash). Ni donc aux patronymes peu rock’n’rollesques des membres du groupe : Wally Tax, Ronny Splinter, Frank Beek, Leendert Busch… Même si cela sent le truc travaillé, on reste loin de noms à la Eddy Mitchell ou à la Dick Rivers (question nickname, permettez-moi de croire que jamais les Hollandais ne feront la nique à notre belle nation !). Cela dit, une fois le disque mis en rotation sur la platine, dur de l’arrêter ! Tout ici est exceptionnel !

Cela débute avec un riff qui donne envie de se lever de suite, un Misfit qui démarre au quart de tour. Immédiatement, on constate que les Néerlandais ne nous compteront pas fleurette à la tulipe, mais plutôt au chardon et à la fleur de pavot. À peine plus de 3 minutes de rage rock, puis le groupe tourne psyché avec Zsarrah, sorte d’imprécation, de messe noire. Un bad trip tout en échos de flûte, de guitares dégingandées, de rythmes tribaux. Peut-être le titre le moins accessible du disque, d’autant que le groupe nous fait comprendre qu’il n’est pas là pour se faire des amis : “I got no reason to be kind at all”, “I don’t think I love you at all”, ce genre… Cette pauvre Zsarrah en prend pour son grade ! La spirale infernale continue avec le titre éponyme, squelettique, sorte de marche sur le sable d’une plage désertique, sous une chaleur accablante et hallucinogène. Wally Tax s’époumone pour trouver quelqu’un qui recevrait son appel. En tout cas, l’auditeur est trop loin pour lui répondre, et ce n’est pas l’explosion finale qui pourrait aider le chanteur à trouver un quidam qui pourra lui faire la conversation.

Le premier chapitre du disque se clôt donc dans une sorte d’apocalypse nucléaire. L’auditeur peut alors s’interroger sur l’aspect du monde post-apocalyptique vu par les Outsiders. A priori, à l’écoute de Daddy died on Saturday, il semble que la fin du monde tel qu’il était dans les 3 premiers titres soit radieuse. Car, en dépit d’un sujet plutôt sombre, ce morceau est indubitablement le plus pop de la galette. Cependant, la mini-chanson suivante It seems like nothing’s gonna come my way today (au titre plus long à épeler que la durée de la chanson elle-même) fait encore l’écho d’un avenir où la gueule de bois reste de mise, surtout aux soirs des lendemains qui chantent. Il est alors temps de consulter le Doctor, un type à la guitare bien acérée. Sans doute est-ce le médicament prescrit, mais après 2 minutes de bon rock garage, le bout de la trompe de l’éléphant rose semble poindre de nouveau. Un mec étrange que ce docteur, vraiment, puisque le rythme cardiaque s’accélère de nouveau pour la dernière minute de ce morceau !

Ce regain d’énergie achève le deuxième chapitre de l’évangile rock selon Wally. Le palpitant toujours à fond de train pour le troisième chapitre, on se dirige vers l’homme de la dune et l’ours. Deux chansons pour 3 minutes et quelques, The man of the dune et The bear, où l’essence même du garage rock des sixties finissantes. Puis on file droit sur Happyville et son riff d’harmonica imparable même si on l’a déjà sans doute entendu dix mille fois ailleurs ! Mais les Outsiders ne se posent plus de questions, ils foncent ici pied au plancher pour terminer le chapitre “Visite du garage en moins de 6 minutes” !

Plus sweet, Wally et sa bande chante ensuite You’re everything on earth, qui ne saurait être destiné à la Zsarrahh du début. Ici, M. Tax montre qu’il a un coeur de rocker, avec tout l’attirail du grand romantique : guitares, percussions et orgues se parlent, se complètent, se répondent. Avec Wish you were here with me today, la prétendante a intérêt d’aimer le rock rageur mais délicat. Quant à I love you, no. 2, l’auditeur peut se demander pourquoi ce titre n’est pas encore l’hymne officiel de Venise. Sans doute qu’un gondolier en blouson de cuir, ça faisait tache dans la lagune. En tout cas, sûr que si Elvis était président, cette chanson serait dans tous les bons manuels “Romantisme et rock’n’roll”. Pour finir, Prison song nous renvoie des images de course poursuite, d’un fugitif repris par son passé, bien décidé à ne pas avoir d’avenir. Tout en changements de rythme, ce titre récité nous entraine aux quatre coins de la galaxie rock, en compagnie d’un homme heureux de sortir de taule sous un beau soleil, heureux de revoir un visage aimé. Mais soudain, le regard se trouble, il marche, il se retrouve “presque libre”, mais encore cerné par les murs de l’enceinte. Alors il compte pour oublier. Bientôt la liberté étouffante, dans une ville bourdonnante de bruits de moteurs. Mais enfin, c’est le retour à la maison, qui se voulait salvateur. En remontant l’escalier en compagnie du narrateur, on longe un couloir, on entend un son provenant de la chambre, un homme qu’on ne connait pas, cela va mal finir ! On regarde le flingue…Bang ! Descente aux enfers ! Long questionnement intérieur… Que faire ? La fuite ! La fuite ! Retraverser la chaussée bondée et finir là larmoyant, haletant, et s’écrouler ! L’aventure est terminée !

Ainsi s’achève un voyage musical incroyable, en compagnie d’un groupe qu’on qualifiera sans problème de “culte”. Impensable de s’imaginer qu’un groupe aussi génial que The Outsiders ne soit pas plus connu ! Intolérable de penser que s’ils avaient été américains ou anglais, Wally et sa bande auraient rencontré le succès largement mérité ! Insupportable de voir des pages et des pages encore et toujours remplies de lèvres et langues rouges flétries depuis 30 ans, sans que personne ne prenne le temps de réhabiliter nombre de héros oubliés.

Quelques vidéos faites par des fans pour finir :

Niveau du disque : Maçon

  1. la page Wikipedia intitulée “Bataille de Nuremberg” suffit à illustrer ces propos