Laurent Chalumeau vient de publier Un Mec Sympa, son septième roman, que j’ai lu sur [les conseils de Serge Kaganski]1.

L’histoire de Manu, un ex-tennisman semi-pro reconverti en voleur de bijoux. En liberté conditionnelle, il décide de redevenir clean. Sauf qu’un enfoiré de juge ripoux le fait chanter : s’il ne cambriole pas un musée de montres, le juge le fait retourner en prison.

Roman choral fait de travailleurs sociaux, de flics et juges, de pègre locale, de chirurgiens esthétiques et de vieilles bourgeoises qui trompent leur ennui au club de tennis du coin, ce nouvel ouvrage a plusieurs qualités essentielles : l’histoire est quand même bien fichue (les liens narratifs entre chaque personnage font certes beaucoup appel au hasard, d’aucuns les qualifieraient même peut-être de rohmeriens allez savoir, mais ils n’apparaissent jamais deus ex-machina et l’auteur est d’ailleurs assez malicieux pour faire dire à l’un de ses personnages que quand même tous ces hasards c’est dingue non ?), on veut connaître la suite et, cerise sur le gâteau, c’est souvent drôle, notamment par l’usage massif de tournures du genre “machin faisant ci” qui donne à la narration un ton cynique, laconique et dégagé, à croire que l’auteur écrit son roman comme il écrit une liste de courses.

Ceci n’est d’ailleurs pas bien étonnant car Laurent Chalumeau n’est pas un débutant. Son fait d’armes le plus notable est d’avoir écrit les textes des sketches d’Antoine de Caunes à Nulle Part Ailleurs. Tout ce qui sortait de la bouche de Pine d’huître, Didier l’Embrouille ou Aquarium était en fait le fruit de la plume de Chalumeau, également ancien rock critic pour Rock&Folk.

Mais diable se dit-on alors, aurait-on affaire à un génie ? Malheureusement l’investigation qui suit le “cherchons promptement ce que ce mec a bien pu faire avant” (qui arrive inévitablement en fin de lecture d’Un Mec Sympa) laisse une impression de malaise. Quand on gratte un peu plus loin, on trouve quand même quelques casseroles dans le passé du bonhomme : dialoguiste de films de merde (Hercule & Sherlock, par exemple), parolier pour Michel Sardou et G-Squad… Hum…

Lire un second livre pour préciser son jugement sur Lolo me semble donc à la fois nécessaire et risqué. Nous vous tiendrons informés (edit : Chalumeau a confirmé depuis une place de choix dans mon panthéon personnel). Et puisque ses collaborations avec son pote De Caunes - qui maintenant que j’y pense dispose lui aussi de cette faculté très déroutante de pouvoir alterner le très bon et le très mauvais - est le sommet de sa carrière, surveillons également leur prochaine collaboration pour Le Montespan, prochain film d’Antoine, scénarisé par Laurent (edit : le projet semble avoir été annulé).

  1. Commençons par Laurent Chalumeau puisque Un mec sympa sort maintenant, chez Grasset. Dard, Hammet, Chandler… avaient un personnage récurrent. Chalumeau a trouvé autre chose : une région récurrente. Après Maurice le siffleur et Les arnaqueurs aussi, Un mec sympa est le troisième d’une série située sur une côte d’azur réelle et fantasmatique qui ressemble à la Californie ou à la Floride, en VF. Même soleil, mêmes palmiers, mêmes retraités, mêmes grosses fortunes, mêmes mafias, même illusion-drogue dure de dolce vita à portée de main (relire à ce propos les paroles de la chanson Hotel California, qui donnaient du goût à la soupe Eagles). Et Chalumeau, c’est un peu Elmore Leonard en VF. Ou Tarantino en VL (version livre). Ou les Coens. Ou les séries TV ricaines (dans le nouvel opus, une louche de Nip/Tuck, une cuiller à soupe de Desperate housewifes… et peut-être d’autres que je n’ai pas captées, n’étant pas spécialiste de la question). Mais si Chalumeau est un observateur rusé de l’air du temps et de la pop culture, c’est surtout un très habile tricoteur d’intrigues croisées, un remarquable croqueur de personnages, et un génial dialoguiste sachant voyager en coupe à travers les couches sociales et retranscrire tous les parlers, tous les idiomes, tous les accents, tous les tics de langage. Comme d’habitude avec lui, on pisse de rire à chaque page, tout en étant tenu par une intrigue qui avance sans temps morts. Et plus qu’à l’habitude, on chope en filigrane un portrait futé de la société française d’aujourd’hui - sa petite beurette est dans ce registre “sociétal” un vrai bonus.

    Serge Kaganski