Quatre ans après la parution de son précédent roman, Je te retrouverai, les éditions du Seuil nous offrent, en même temps que tous les éditeurs qui sont apparemment incapables de répartir les sorties sur l’année - appelez ça la rentrée littéraire - le dernier opus du très talentueux John Irving.

Je ne taris pas d’éloges à propos du bonhomme. En effet, je suis un grand grand fan des romans de l’américain même si je n’aime pas tout, mais je crois qu’il ne serait pas plus mal de refaire un petit topo sur l’auteur.

John Irving est un homme charmant, né en 1942 (d’ailleurs c’était son anniversaire mercredi et j’ai complètement oublié d’envoyer un SMS) dans le New-Hampshire, en Nouvelle-Angleterre, région chère à son coeur, dans laquelle se déroule une bonne partie de ses oeuvres. Je passe un peu sur sa période primaire où il jouait aux billes (bah forcément, il n’y avait pas de Pogs) mais John devient un champion de lutte au lycée et c’est un des thèmes récurrent dans sa bibliographie. Il passe par l’atelier d’écriture de l’Iowa où il est en particulier coaché par Kurt Vonnegut, auteur comme tout le monde le sait de grands livres que je n’ai pas lus. Bon, jusque là je ne connaissais pas du tout cet atelier, apparemment très réputé aux States, mais il se trouve que le détail à de l’importance si vous lisez la suite de cet article. Bref, Johnny sort son premier roman Liberté pour les ours à l’age de 25 ans. Il s’agit de l’histoire deglinguée de deux jeunes déjantés qui font le tour des zoos de la vieille Europe et décident de libérer les ours comme le titre l’indique.

D’un point de vue perso, je n’ai pas aimé ce roman là; je le trouve difficile à lire tant les dialogues partent dans tous les sens et finalement pas très passionnant. En revanche, le roman qui a vraiment lancé Irving dans le cercle des auteurs de best sellers (et non pas des poètes disparus), Le Monde selon Garp, est une véritable merveille et on voit tous les mécanismes et thèmes d’Irving se mettre en place: émancipation des femmes (Garp est mis au monde et élevé par son infirmière de mère qui seule se débrouille pour tomber enceinte et devient la “première” grande féministe), la Nouvelle-Angleterre des années 60, Vienne, les ours, le rapport père-fils et les craintes liées à la paternité et surtout la concupiscence, thème majeur de ce roman passionnant et très dense.

Depuis, plusieurs très grands livres ont suivis dont, pour citer mes préférés, L’Hotel New Hampshire, Une Veuve de papier ou Je Te Retrouverai. C’est donc avec grande impatience que j’attendais Dernière nuit à Twisted River dont la sortie aux Etats-Unis date de Novembre 2009. Parlons-en, donc.

Il est souvent reproché à Irving de doubler le nombre de pages de ses histoires et de perdre le lecteur en digressions diverses. S’il est en effet toujours un peu difficile de rentrer dans ses romans (les chapitres font au minimum quarante pages et le premier est toujours un peu rébarbatif) je trouve qu’en général le passage pénible est de courte durée et qu’une fois à l’intérieur, il devient impossible d’en ressortir. Cependant, cette fois-ci, je dois reconnaître que je me suis demandé, lors de la lecture des cent premières pages si je ne tenais pas un exemplaire de la collection Que Sais-je ? sur l’Histoire et l’Evolution du transport fluvial de bois et des bûcherons qui le découpent. Certes il s’agit là du contexte dans lequel on veut nous faire rencontrer les personnages et une description précise de ce contexte aide à la compréhension de ces personnages. Mais quand même. On a tendance à lutter contre le sommeil. Et c’est dommage, car comme d’habitude les personnages sont incroyables, fouillés et extrêmement attachants.

Il y a Dominic le cuistot, qui boite et qui élève seul son fils de douze ans après que sa femme (une tendre cousine) s’est noyée dans la rivière. Il couche avec Jane, la grosse indienne que Dany, le jeune fils en question, confond accidentellement avec un ours. Il y a Ketchum, le bûcheron bourru qui semble lié par on ne sait quel accord tacite à Dominic et qui veille sur eux. Il y a Tombe du ciel, jeune parachutiste nudiste et féministe esquintée par la vie. Et tant d’autres personnages d’une force incroyable que l’on va rencontrer au cours de ce roman, dense, qui nous raconte la vie de ce père de son fils et du fils du fils.

Le livre ravira les inconditionnels de John Irving, car en plus d’aborder les thèmes chers à l’auteur et déjà mentionnés plus haut (paternité, tout ça…) il fait le lien entre des choses vécues par Irving et par Danny (qui devient écrivain dans le livre). Ainsi Danny participe à l’Atelier d’écriture de l’Iowa et est guidé par Kurt Vonnegut. Il écrit un roman sur l’avortement suite à une expérience dans une clinique à la frontière avec le Maine (ce qui n’est pas sans rappeler un autre roman d’Irving, L’Oeuvre de Dieu; la part du Diable). Tous ces détails donnent une grande cohésion à ce roman là mais aussi à l’Oeuvre d’Irving en général.

Finalement, une fois qu’on a enfilé sa chemise à carreaux et qu’on a passé le début difficile du roman, on reste sous le charme - et le joug! - de cette nouvelle histoire toujours pleine de mélancolie, de vie ratée et qui nous rappelle, comme le dit si bien Dominic, que l’on vit tous dans un monde d’accidents.