Au sujet du split d’Oasis
Le temps d’encaisser la déception du split d’Oasis annoncé lors de Rock en Seine, et voilà plusieurs trucs pour se consoler…
Une vidéo où un nazi célèbre apprend la triste nouvelle, ainsi que l’excellente interview que les frères Gallagher avaient donné aux Inrocks et Emmanuel Tellier en 1994.
Des terrains vagues de Manchester au Panthéon du rock en moins de six mois : record battu. Au terme de 1994, année Oasis, rencontre avec la famille Gallagher, ce gentil monstre à deux têtes : Noel, guitariste, auteur, compositeur (27 ans), et Liam, chanteur (22 ans). D’éclaircissements autobiographiques (l’enfance sauvageonne, la découverte de la musique, la vie avant Oasis) en palabres diverses (la came, les groupies, l’argent), l’occasion de sonder l’âme d’un groupe moins rustaud que son rock aggloméré. Et de poser la brûlante question : combien de temps sur ce tempo?
Quels rapports entretenez-vous avec votre ville d’origine, Manchester ?
Liam – Elle ne signifie rien pour nous. C’est juste une foutue ville du Nord, là
où nous vivons. Une ville comme les autres, où le groupe n’attirait personne il
y a encore huit mois. Alors maintenant, bien sûr, tous les blaireaux de la ville
disent qu’ils nous suivent depuis le début, qu’ils ont toujours su que nous
percerions. Mais en vérité, Manchester ne nous a jamais soutenus. Il y a un an,
nous y donnions nos concerts les plus cafardeux, devant des salles vides.
Désormais, vous jouez devant des salles pleines à craquer. Est-ce pour vous
une revanche ?
Noel – Le succès, c’est une victoire agréable, mais rien de plus. Il y a deux
ans, nous ne méritions pas d’être connus. Le groupe était mauvais.
Vous avez fêté votre retour à Manchester par un concert à l’Haçienda, la salle
mythique de la ville. Ce lieu a t-il une signification particulière pour vous
?
Liam – Aucune. C’est juste un pauvre club, une boîte de nuit. J’en ai rien à
branler de ce genre de symboles. Le groupe d’aujourd’hui dans la salle d’hier,
le renouveau de Manchester, le réveil du rock : que des conneries ! New Order,
Factory, l’Haçienda n’ont jamais rien eu à voir avec ma vie. Factory ne m’a
jamais rien apporté, hormis le premier album d’Happy Mondays. Joy Division, pour
moi, c’est du vent. Quatre putains de raseurs de leur mère, des connards
morbides.
Aujourd’hui, tu es ami avec Shaun Ryder, l’ancien chanteur d’Happy
Mondays.
Liam – (Outré)… Pas du tout ! C’est lui qui voudrait devenir pote avec moi, mais
je n’ai pas l’intention de le laisser faire. On ne devient pas mon pote comme
ça, simplement en claquant des doigts ou parce qu’on a été célèbre quelques mois
dans sa vie.
C’est un peu cruel : un jour, toute l’Angleterre danse sur Happy Mondays. Le
lendemain, le groupe est grillé.
Liam – Ces pauvres connards n’avaient qu’à faire un peu gaffe. Après le premier
album, ils n’ont fait que glisser vers la médiocrité, sans tenter d’enrayer la
chute. Alors voilà : quand tu deviens mauvais, tu dégages. C’est la loi du
milieu.
Noel – Sans musique, tu n’es plus rien. Si demain j’écris des chansons de merde,
plus personne ne voudra de moi. Alors que si je me bats pour Oasis, je n’ai
aucun souci à me faire. Grâce à mes chansons, j’aurai les drogues et les filles,
toutes ces choses qui vont de pair avec la notoriété. Pour pouvoir tirer un
coup, il faut écrire de bonnes chansons. Et je peux te dire que les mecs d’Happy
Mondays ne doivent pas baiser très souvent en ce moment.
Quelle ambiance régnait-il à Manchester après que la presse et les maisons de
disques ont déserté la ville, au lendemain du phénomène Madchester ?
Noel – Une ambiance de mort, le silence radio. En fait, à Manchester, il n’y
avait que les Stone Roses et Happy Mondays. A part eux, que de la merde ! Alors,
forcément, quand les Stone Roses sont entrés en hibernation et que les Mondays
ont commencé à déconner, la ville est retombée dans le chaos. Si une vraie scène
musicale avait existé, elle aurait perduré, créé des vocations.
Vous n’êtes donc pas des enfants de Madchester.
Liam – Nous sommes des enfants de la frustration, de l’ennui. Il y a trois ans,
la ville ronflait. Tout le monde était parti se coucher. Trop de drogues, trop
d’alcool, trop de nuits blanches. A ce moment-là, moi, je me réveillais juste.
Les Stone Roses m’ont servi de déclic : soudain, j’étais décidé à vivre un truc
fort, à trouver un moyen d’échapper à ce putain de climat morbide. Les autres
ronflaient comme des cons, moi je pétais la vie. Je m’occupais de mon truc :
monter mon groupe, réussir ma vie. Manchester, je m’en foutais complètement.
Lancer une nouvelle scène locale ? Et puis quoi encore ? Pour moi, l’exemple à
suivre, c’est les Stone Roses : un groupe qui file à son rythme et se fout
complètement des autres.
Les Stone Roses disent avoir toujours su qu’ils étaient particuliers, doués
d’un talent unique. Au départ, étiez-vous animés par de telles certitudes ?
Liam – C’est plutôt la médiocrité ambiante qui me motivait, le simple fait qu’un
groupe comme les Stone Roses ne se soit pas trouvé de descendance. Il y a deux
ans, j’écoutais beaucoup la radio, je lisais tous les journaux. Et rien ne me
plaisait, tous les groupes puaient la mort. Il fallait faire quelque chose, se
lancer, reprendre le flambeau. Alors, j’ai foncé tête baissée, sûr de mon coup.
Je voulais entendre de la bonne musique. Et comme ces connards d’Inspiral
Carpets étaient incapables de pondre la moindre chanson décente, je me suis mis
au boulot moi-même. Je me suis dit : puisque personne n’écrit les chansons que
je veux entendre, je vais les écrire moi-même ! Et si ça marche, tant mieux. Et
si personne ne veut entendre mes chansons, tant pis. Moi, au moins, j’aurai
quelque chose d’acceptable à mettre dans mon radio-cassette.
En te lançant, pensais-tu avoir le talent nécessaire ?
Liam – Il n’y a aucun talent à avoir pour devenir chanteur de rock. Tu montes
sur une scène, tu te plantes devant le micro. C’est tout. Ma voix n’est pas
particulièment bonne. Avant Oasis, je n’avais jamais utilisé ma voix. Mais voilà
: je chante quand même, parce que chez les Gallagher, on n’a peur de rien.
Avant que Noel vous rejoigne, quelles étaient les forces et les faiblesses
d’Oasis?
Liam – Nous étions un groupe de merde. Nos chansons étaient pourries – c’est
Bonehead (guitariste rythmique d’Oasis) qui les écrivait, un vrai désastre… Mais
malgré tout, je croyais au groupe. Comme échappatoire à cette vie de connard qui
m’attendait, je n’avais rien trouvé de mieux. Dès que mon frère s’est impliqué,
j’ai su que nous allions y arriver. Il est venu et a repris l’affaire en main.
D’un seul coup, la machine tenait debout : Oasis devenait Oasis.
Noel – Au départ, ils n’avaient pas grand-chose pour eux, hormis la petite
gueule de star de Liam. Les autres connards n’avaient pas d’instruments dignes
de ce nom, aucune attitude.
Avant Oasis, vous arrivait-il de jouer ensemble, à la maison ?
Liam – Depuis des années, Noel jouait de la guitare dans sa chambre, le soir en
rentrant de l’école et le matin avant d’y retourner. Je savais qu’il écrivait
des bonnes chansons, mais j’allais avec mes potes, je faisais mes trucs de mon
côté. A 15 ans, je ne comprenais rien à la musique. Je voulais juste jouer au
voyou et taper dans un ballon de foot. Noel et moi avions chacun notre bande,
nous ne nous croisions jamais.
Noel – Nous avons cinq ans de différence et je suis l’aîné. Cinq ans, ça
paraissait insurmontable lorsque nous étions gosses. Surtout lorsque j’avais 5
ans (pince-sans-rire)… Plus tard, le fossé s’est comblé. Je me suis davantage
occupé du petit, nous sommes devenus assez proches. Et lorsque je suis entré
dans son groupe, nous avons passé un pacte. Liam m’a dit “Dans ma vie, je ne
chanterai que tes chansons et celles de John Lennon.” Alors j’ai répondu “Moi,
je ne vois personne d’autre pour chanter mes chansons : ce sera toi ou John
Lennon.”
Pourquoi Noel ne s’est-il pas impliqué dans Oasis au moment où Liam formait le
groupe ?
Liam – Parce que personne ne le lui a demandé.
Alors pourquoi s’est-il joint au groupe, quelques mois plus tard ?
Liam – (Parfaitement sérieux)… Parce que je le lui ai demandé.
Noel – Ces petits cons jouaient comme des billes, il fallait que je fasse
quelque chose pour eux. Mais à mes conditions : je devenais le chef incontesté.
J’ai commencé par acheter une grosse quantité de matériel, guitares et ampli,
avec mon argent personnel, gagné avec des boulots de merde. J’ai aussi payé pour
toutes les journées de répétition. Petit à petit, je leur ai montré comment il
fallait jouer. Il a fallu se battre, travailler cinq ou six heures chaque jour.
Finalement, c’est la voix qui a demandé le moins de boulot parce que le gamin
avait déjà une attitude, une force en lui, instinctive.
Liam – Tout ce que je sais aujourd’hui, je le dois à Noel. Il a fait mon
éducation musicale au cours des dernières années, en passant des disques à la
maison en permanence. Des trucs que j’aimais et d’autres qui me filaient des
boutons. Quand il mettait des disques dans sa chambre, je m’installais dans le
couloir et j’écoutais à travers le mur. Je me souviens du jour où il a ramené le
premier album des Smiths, un bon moment dans notre maison. Mais le plus beau
jour de ma vie, c’est quand il a ramené l’album des Stone Roses. Ce jour-là,
j’ai su ce que je voulais faire de mon existence. Depuis que je connais ces
génies, je n’ai plus besoin de fouiller dans le passé. L’album des Stone Roses,
quelques disques des Beatles et Definitely maybe : avec ça, je peux partir vivre
sur une île déserte… Aujourd’hui, je n’écoute plus les disques des Smiths – trop
maniérés, pas assez sexy. J’ai toujours pensé que Morrissey était un gros
connard. Sans lui, les Smiths auraient constitué un bien meilleur groupe. Par
contre, Johnny Marr est l’un des héros de la famille Gallagher.
Noel – Johnny Marr a très bon goût : il adore Oasis (pince-sans-rire)… C’est un
type bien, un lad, un gars du Nord. Ma discothèque personnelle était surtout une
collection de mélodies. D’où mon amour pour les Beatles, les Smiths. Et les
La’s, ces génies ignorés. Quel dommage que Lee Mavers soit si paresseux…
Honnêtement, je pense qu’il est meilleur que moi. De notre génération, c’est le
type le plus doué.
Lorsque vous parlez des Beatles, vous ne citez jamais McCartney.
Liam – Je n’ai jamais pu l’empiffer, celui-là. Pour moi, c’est celui qui
écrivait les chansons de pédé, les trucs mollassons (il chante les premières
notes de Let it be). C’est pas fait pour moi, ce genre de chansons. Moi, j’étais
plutôt branché par le côté punk-rock de Lennon. Il y a quelques années,
j’écoutais des tas de disques punks.
Noel – Moi aussi, j’ai été très marqué par le punk. Après les cours, je traînais
avec les fans des Sex Pistols – que j’adorais, avec les Damned et les Buzzcocks.
Par contre, j’ai toujours pensé que le Clash était un groupe de merde, comme
Sham 69… A l’école, j’étais un peu le mec à part, parce que j’aimais le punk et
les Beatles. Normalement, il fallait choisir entre les deux.
Quand vous étiez gamins, qui étaient vos héros ?
Noel – Tous les grands songwriters : John Lennon, Neil Young, Ray Davies, Jagger
et Richards, Pete Townshend, Paul Weller. Et puis les grands guitaristes. J’ai
très vite compris que la guitare était un symbole magnifique. Le symbole de la
rébellion, de la liberté, des gens qui vivent en marge.
Liam – Moi, je n’avais pas de héros, j’étais juste un foutu marmot. Je passais
mes journées à faire des conneries, je n’avais pas le temps d’avoir des héros. A
16 ans, ma seule activité musicale était de jouer des congas en écoutant les
disques des Beatles et des Rolling Stones. Le reste du temps, je courais après
les nanas. Rien d’autre ne m’intéressait.
Avais-tu envie de quitter Manchester, de voir du pays ?
Liam – Pourquoi aller voir plus loin ? Manchester, c’était ma maison, j’y étais
heureux. Je me sentais parfaitement bien avec mes congas et les poulettes du
quartier.
Noel – Je voulais voyager, voir le monde. Liam portait encore des couches mais
moi, je rêvais d’aller en Amérique. Je suis donc devenu roadie pour ces crétins
d’Inspiral Carpets – j’accordais leurs guitares, je portais leur matériel. Un
groupe de merde, mais qui m’a permis de faire le tour du monde. Je savais que je
finirais à la place de ces idiots.
Tu as eu d’autres boulots ?
Noel – J’ai tout fait : promené des chiens, lavé des vitres, vendu des fruits
sur le marché. J’ai même été l’un des derniers ramoneurs du pays. On m’a décerné
un certificat pour ça.
La dernière chanson de votre album, Married with children, est une satire de
la vie “ordinaire”. N’avez-vous pas le sentiment de vous moquer d’une partie de
votre propre public – les gens mariés avec des enfants ?
Liam – Je dis juste que je ne m’imagine pas planté dans un deux pièces lugubre
avec trois gosses sur les bras. Ce genre de vie, très peu pour moi.
Quel genre de vie préfères-tu ?
Liam – L’expérimentation, les risques, l’aventure. Et autant de filles que
possible. T’as vu les groupies qui nous suivent ? Eh bien moi, j’aimerais qu’on
en ait encore plus. Des nanas, on n’en a jamais assez. Il m’en faut plus,
toujours plus !
Désormais, vous êtes des sujets d’adoration. Avez-vous connu autre chose – le
rejet, l’échec ?
Liam – Jamais. J’ai toujours été beau gosse. Je ne me suis jamais fait planter
par une minette. (Il insiste)… Je suis sérieux : je suis un homme à femmes ! Je
n’ai jamais pris les rapports garçons-filles très au sérieux. Si ça merde avec
une nana, je me tire. Il y en a toujours une autre au coin de la rue.
Noel – Je suis resté avec une fille pendant des années, mais elle s’est barrée.
Une histoire plutôt triste, mais j’ai tiré un trait. En ce moment, rien qu’en
Angleterre, j’ai huit copines. Bon, c’est un peu dur à gérer. Je peux en voir
une par jour, mais le dimanche, c’est le bazar : je suis obligé de m’en taper
deux dans la même journée.
Sais-tu pourquoi ces filles te fréquentent ?
Noel – Evidemment : parce que je suis célèbre. Un mec connu, ça les excite,
alors j’en profite. La plupart d’entre elles ne connaissent même pas mon nom.
Elles veulent juste aller en coulisses pour se faire tirer par le guitariste
d’Oasis. C’est ça, le rock’n’roll. Rien d’autre que ça. Les filles, ça nous fait
une occupation après les concerts.
Liam – L’autre jour, cet enfoiré s’est tapé une nana qui était persuadée d’être
dans mes bras. Elle n’arrêtait pas de l’appeler Liam.
Noel – C’est faux. Les minettes craquent toutes pour moi. Dans le groupe, je
suis “l’homme”, alors que les autres sont encore des marmots.
Vous semblez aussi attirer les parasites.
Noel – Evan Dando ? C’est pas un mauvais mec, juste un autre genre de groupie,
un fruit cake.
Liam – Je ne suis pas resté assez longtemps à l’école pour rentrer dans le rang.
Même quand j’étais tout gamin, je savais que l’école ne me servait à rien.
J’avais la conviction que la vie était ailleurs, à l’extérieur de l’école. Dans
la cour du bahut, je n’étais ni leader ni suiveur. J’avais des tas de copains,
mais la plupart du temps je restais seul. Je ne croyais pas à l’idée de groupe,
de gang. Je croyais surtout en moi-même.
Noel – Je me suis fait virer à 15 ans, pour avoir balancé un pot de fleurs sur
la tête du directeur. Auparavant, j’étais plutôt du genre calme, mais ce jour-là
j’ai craqué. Peu importe : j’ai appris beaucoup plus depuis. Les profs m’ont
appris à lire et à écrire, c’est tout.
Vos parents voulaient-ils vous modeler à leur image ?
Liam – Je n’ai plus revu mon père depuis l’âge de 9 ans. Habituellement, c’est
le père qui abandonne sa famille. Mais là, c’est la famille – mes deux frères et
moi – qui a largué le père. C’était un gros connard, une tête de nœud, un
alcoolo… Ma mère s’est donc retrouvée seule. Elle a toujours été très douce avec
nous, très relax. Sans doute parce que le vieux n’était plus là.
Pourquoi le troisième frère Gallagher ne joue-t-il pas dans Oasis ?
Liam – Il a toujours fait ses trucs de son côté, des tas de boulots, même s’il
partage notre amour pour la musique. Et puis, c’est l’aîné – il a 30 ans.
Vous parlez souvent de votre mère. Comme si, d’une certaine manière, elle
restait pour vous l’ultime alliée, celle que l’on ne peut pas trahir.
Liam – Quoi de plus précieux qu’une maman ? Elle ne nous a jamais emmerdés. Elle
laissait couler, même quand on faisait des conneries, mes frères et moi. Et elle
a dû en baver, Margaret, parce que moi, j’ai fait les quatre cents coups. Mais
aujourd’hui, tout est réglé : je suis heureux et elle le sait. Elle m’a toujours
fait confiance. A l’école, je ne foutais rien, mais elle ne me punissait pas
pour autant.
A-t-elle encore de l’autorité sur toi ? Si elle te disait “Liam, ne touche pas
aux drogues” ?
Liam – C’est impossible, ma mère ne me dirait jamais ça. En plus, on lui raconte
tout : elle n’a donc aucune raison de s’inquiéter. Et si elle lit un truc qui
lui déplaît dans les journaux, elle nous demande de nous expliquer. “Dis donc,
Liam, il faut que je te parle d’un truc. Viens dans la cuisine !” Mais elle ne
m’interdira jamais rien.
Noel – Si tes parents t’interdisent de faire quelque chose, il est évident que
tu vas vouloir transgresser la règle. Margaret a toujours été assez intelligente
pour nous laisser découvrir les choses par nous-mêmes.
Hormis les liens du sang, qu’avez-vous en commun, ton frère et toi ?
Liam – (Sans hésitation)… Le goût des drogues. Surtout la colle. J’en sniffe six
fois par jour. Et crois-moi : aucune autre drogue ne vaut la colle. Je me fous
de la cocaïne, mon truc à moi, c’est la colle.
Saurez-vous résister aux tentations des drogues dures ? En Amérique, dans le
circuit rock, la coke est omniprésente.
Liam – Quand je pars en tournée, j’emmène ma colle avec moi. C’est mon truc, ça
me suffit amplement. J’ai commencé lorsque j’avais 14 ans. Depuis, chaque jour,
je sniffe ma colle. Et ce n’est pas une drogue qu’on partage. Je fais ça tout
seul, dans mon coin, peinard. Idem pour mon frère. Je sais qu’il se shoote, mais
je lui fous la paix. On n’a pas besoin d’en parler. A quoi ça servirait ? Dans
mon quartier, tout le monde connaît la colle, il y a longtemps que ce n’est plus
un sujet de débat… Désormais, je suis obligé de faire un peu plus attention à
mon image. Alors j’ai réduit ma consommation d’alcool. Après des années au gin
tonic, je marche plutôt au Jack Daniel’s. Mais sans excès : jamais plus d’une
bouteille par jour.
Noel – Quand je revenais du boulot, il n’y avait rien d’autre à foutre. Le foot,
John Lennon et la colle : voilà à quoi ressemblait ma vie. Aller au stade,
s’éclater la tronche et écouter les Beatles. Et sans Oasis, j’en serais sans
doute toujours là.
Avez-vous conscience de vos nouvelles responsabilités de personnages publics ?
Des gamins pourraient prendre exemple sur vous.
Liam – Les journalistes me demandent si je prends des drogues, je réponds : je
suis un adepte de la vérité. En interview, je n’ai jamais menti. Dans ce groupe,
il n’y a pas de place pour les mensonges. Mais attention, faut être prudent avec
ces conneries-là. Je ne suis pas là pour encourager les mômes à se défoncer la
tête. Et puis les déclarations à la Evan Dando – “je me shoote, je suis
malheureux, je suis un grand artiste torturé” –, ça ne marche pas avec moi. Dire
la vérité, très bien. Mais inciter à la débauche, à la violence, au
hooliganisme, très peu pour moi.
Noel – Nous ne sommes pas complètement irresponsables. Pour moi, une chaise,
c’est fait pour s’asseoir dessus. Pas pour être balancée dans une vitre d’hôtel.
Notre réputation de casseurs est très exagérée. Bien sûr, de temps en temps,
Bonehead fait le con : il déchire des rideaux, pète un carreau ou deux. Mais à
part ça, nous savons nous tenir. En tournée, il m’arrive souvent de monter dans
ma chambre directement après le concert pour lire le journal dans mon lit.
On dit que les policiers du quartier où vous avez grandi vous connaissent
bien.
Liam – On a fait deux ou trois conneries, rien de très méchant.
Comme braquer l’épicier du coin, sans prendre le soin de mettre une cagoule
?
Liam – (Rires)… Oublions ça : j’étais juste un gamin. Aujourd’hui, les flics
n’ont aucune raison de m’emmerder. Je n’ai rien à me reprocher.
Possession illégale de drogues, peut-être ?
Liam – Je n’ai jamais rien sur moi. Je ne suis pas assez con pour transporter
mes drogues moi-même (sourire)… Nous sommes plus malins que ça, beaucoup plus
finauds que ces abrutis de Mondays qui réclamaient par contrat des doses de coke
aux promoteurs de concerts. Chez Oasis, on ne prend jamais rien avant de monter
sur scène. Le concert, c’est sacré : on ne peut pas se permettre d’être trop
défoncés.
Pour beaucoup, vous représentez le renouveau d’une certaine tradition rock
anglaise. Ce rôle vous convient-il ?
Liam – C’est un peu lourd à porter, surtout pour quelqu’un comme moi qui n’a
jamais été très fan de son pays. Ce que j’aime chez les Anglais, c’est les
individualités, une certaine attitude qu’ils peuvent avoir dans leurs bons
moments. Mais il y a aussi des tas de choses déplorables chez nous.
Heureusement, nous avons la musique et tout ce qui en découle : les fringues, un
sens du style très affirmé. Voilà les choses qui me rendent fier de vivre en
Angleterre. A part ça…
Noel – Nous sommes d’origine irlandaise. D’Irlande, nous avons gardé un certain
esprit, mais rien de plus. D’ailleurs, à la maison, nous ne parlions jamais du
pays. Nous étions irlandais mais nous vivions à Manchester. Ces histoires de
pays, on s’en branle royalement. Quel rapport avec notre musique ?
Vous sentez-vous profondément liés à la classe ouvrière ?
Liam – Ma mère fait partie de la classe ouvrière, donc j’imagine que Noel et moi
en sommes également des produits. Cette appartenance au peuple, aux idées de
gauche, c’est un truc ancré en nous, mais pas au point de me donner envie de
voter. Dans ma vie, je n’ai jamais voté. Je n’ai jamais fait confiance à ces
enculés de politiciens.
Noel – Soutenir Manchester City, c’est déjà un signe d’appartenance à la classe
ouvrière. Manchester United a des fans du monde entier, de tous les milieux
sociaux, alors que Manchester City n’est soutenu que par les vrais Mancuniens,
les gens de la rue, des gens loyaux, même quand le club descend en deuxième
division. D’ailleurs, Eric Cantona devrait venir jouer chez nous, à Manchester
City. C’est un vrai rocker, ce type. Je ne comprends pas ce qu’il fout dans
l’équipe d’en face. Manchester United, c’est l’équivalent d’une grosse
multinationale du disque, comme Sony. Alors que Manchester City, c’est
l’équivalent du label Creation.
Liam – Noel a déjà écrit des dizaines de nouvelles chansons, des trucs inouïs.
Dès que nous aurons un moment, nous retournerons en studio pour enregistrer. Ne
cherchez pas ici de plan de carrière, de planning établi cinq années à l’avance.
Nous irons aussi vite que possible, sans nous poser de questions. Si tout va
bien, nous serons bientôt gigantesques, aussi connus que U2.
Noel – Nous le méritons. Ce succès, il nous a fallu trois années pour le bâtir.
Nous avons bossé comme des brutes… Maintenant, je veux foncer.
Ressentez-vous une forte pression sur vos épaules ?
Liam – Les gens attendent beaucoup de nous. Normal, après tout le foin autour du
groupe. En Amérique, ça devient assez pesant. Notre maison de disques veut faire
de nous les nouveaux Rolling Stones, un groupe à la fois sulfureux et rentable.
D’où cette tournée épuisante.… Les concerts, je peux encaisser sans problème.
Mais tout ce qui va autour me crève. Le groupe aurait bien besoin de vacances en
ce moment.
On dit que vous passez votre temps à vous battre. Cela peut-il mettre le
groupe en danger ?
Liam – Foutaises ! Quand mon frère est con, je lui en colle une. Et si je
déconne, il m’en colle une. Quoi de plus normal ? Nous sommes frères et tous les
frères agissent comme ça. Hier soir, on s’est engueulés pour le prix d’une boîte
de haricots blancs.
Noel – Je suis l’aîné et il doit m’écouter. Quand il fait sa forte tête, je lui
colle une paire de beignes. Dans le groupe, c’est moi le boss. Et ça ne changera
plus. Liam a été conçu pour être une rock-star. Sa place, c’est sur le devant
d’une scène avec un micro dans les pognes. Le reste du boulot, c’est moi qui
m’en charge.
Aujourd’hui, Noel écrit tout – paroles et musique. Ce mode de fonctionnement
est-il amené à changer ?
Liam – (Traînant la voix)… Je ne crois pas. J’écris des trucs dans ma chambre,
mais je n’arrive pas à la cheville de mon frangin. Il n’est pas seulement
meilleur songwriter, c’est aussi un meilleur homme, un meilleur individu : plus
droit, plus intelligent que moi. Je l’aime, je l’admire plus que quiconque. Moi,
je suis un paquet de merde… Noel écrit en permanence. Il bosse dur, beaucoup
plus dur que moi. Lorsqu’il arrive en répétitions, tout est prêt. Les premières
fois, il chante lui-même. Moi, je reste en retrait pour observer. J’apprends mon
rôle en regardant mon frangin chanter à ma place.
Noel – Le petit a écrit deux textes pour Oasis, il y a deux ou trois ans. Je lui
ai dit d’arrêter immédiatement, il n’est pas fait pour écrire. Alors que moi, je
suis un bosseur, un perfectionniste. Ecrire des chansons, c’est mon boulot. Pour
composer, j’ai besoin d’être seul, dans le silence. Avec juste ce qu’il faut
d’alcool et de drogues pour me tenir éveillé. Sans l’aide des drogues,
Supersonic et Shakermaker ne seraient sans doute jamais sorties. Par contre,
Live forever et Slide away sont des chansons d’amour. Elles me sont venues très
naturellement.
Le reste du groupe semble très passif. Le déplores-tu ?
Noel – C’est un peu frustrant, mais qu’est-ce que j’y peux ? Je n’ai pas le
choix, il faut faire avec. Au moins, ces mecs-là ont l’esprit qui convient.
Pendant la tournée américaine, nous avons passé quelques heures en studio pour
enregistrer des faces B. Or, les autres idiots étaient incapables de jouer mes
chansons. J’ai donc fini par tout jouer moi-même : batterie, basse, guitares et
clavier. C’était le seul moyen pour faire sonner ces putains de chansons. Et je
me fous bien de savoir si Bonehead et les autres sont contents ou non. Ce qui
compte, c’est le résultat final, mes chansons.
Que réponds-tu à ceux qui disent que tes textes sont des collections de
clichés ?
Noel – Que j’aime l’écriture simple, autour de quelques mots entendus dans la
rue ou à la télé. Que j’aime les phrases qu’on retient facilement, les mots qui
claquent, les formules fluides, genre A – B – C. Certains appellent ça des
clichés, mais je m’en fous.
Tu n’as pas peur d’être à court d’idées ?
Noel – En vérité, j’ai déjà l’impression d’avoir tout dit (long soupir)…
Musicalement, je ne crains rien, je trouverai toujours des mélodies valables.
Par contre, je me demande comment je vais pouvoir me renouveler au niveau des
textes. J’ai la trouille d’avoir tout dit, d’être obligé de me répéter. J’espère
que notre public sera tolérant avec moi. Sinon, je n’aurai plus qu’à tout
arrêter.
La presse spécialisée anglaise peut-elle également représenter un danger pour
le groupe ?
Noel – Des imbéciles disent que les hebdos anglais ont tué Kurt Cobain. Bon
sang, il faudra m’expliquer comment un putain de bout de papier peut buter un
être humain ! C’est la came qui détient le pouvoir, pas ces fils de pute.
Liam – Pendant des années, j’ai lu ces journaux chaque mercredi comme d’autres
lisent la bible. Alors aujourd’hui, forcément, je sens que je me suis fait
berner. Il suffit de voir comment ces merdeux traitent Oasis : si peu d’articles
sur notre musique et tellement de mensonges, de déformations.
Vous allez très vite être confrontés à des sommes d’argent considérables.
N’est-ce pas un peu effrayant ?
Liam – Pour l’instant, je n’ai encore rien touché, pas un centime. Même si tout
ce pognon nous file le vertige, Noel sera là pour nous faire redescendre. Il a
la tête froide, le frangin… Quand je toucherai le pognon qui m’attend, je
quitterai Manchester, comme Noel. Mais pas pour aller vivre à Londres. Moi, je
veux une maison à la campagne, avec des arbres, des oiseaux. Les villes me
fatiguent. Ce sont des lieux de travail, pas des lieux de paix. En ville, on
donne des concerts, on rencontre des businessmen, on s’éclate dans des clubs.
Mais mince, il doit y avoir autre chose dans la vie : un peu de calme, de
sérénité.
Honnêtement, il y a six mois, vous attendiez-vous à un tel raz de marée ?
Liam – J’ai toujours su que nous serions énormes. Comment douter de telles
chansons ? Elles sont si… universelles ! Ce qui m’a surpris, c’est la vitesse du
phénomène : je pensais être une star au deuxième album, pas dès le premier.
Definitely maybe est entré directement à la première place des charts. De quoi
pouvez-vous encore rêver ?
Noel – Un 45t à la première place des hit-parades pour les fêtes de fin d’année,
ça aurait de la gueule. Et je crois que nous avons justement le morceau qui
convient, un truc noyé sous les cordes de violons, magnifique ! Et puis, je
voudrais être connu dans le monde entier. L’Angleterre ne me suffit pas… En
vérité, le rêve absolu, ce serait de pouvoir s’enfermer en studio comme les
Beatles, de se concentrer exclusivement sur nos disques. Plus de tournées, plus
de promo : le paradis.
Liam – Personnellement, j’ai juste l’impression d’avoir avalé mon petit
déjeuner. Et j’ai hâte de me remettre à table. Je suis né pour chanter. Le
rock’n’roll a sauvé mon âme. Sans ce groupe, je n’aurais rien fait de ma vie. Je
serais resté chez moi, impassible, assis sur une chaise.
Depuis six mois, vous vivez à mille à l’heure – voyages interminables, nuits
blanches, défonce, groupies. Vous n’avez pas peur de filer droit dans le mur
?
Liam – Nous étions préparés à tout ça, à cette vie de folie. Depuis que j’ai 14
ans, je vis comme ça, à fond, avec de la came et des filles autour de moi. Et
c’est un style de vie que j’ai choisi, je ne le subis pas. N’importe comment, si
je dois me planter, je me planterai. Alors à quoi bon lever le pied ? Je suis là
pour m’éclater, j’ai formé un groupe de rock dans ce seul but. Maintenant, si
Oasis doit finir dans le mur, alors je crèverai en même temps que le groupe. Et
si crash il doit y avoir, alors ce sera le plus beau crash de tous les temps.